Chroniques de la République montagnarde : le maximum général contre les accapareurs de 1793 et les spéculateurs de 2013

Calendrier républicainDepuis le mois de septembre, vous pouvez retrouver ici chaque mois ( et dans La Lettre du mois de l’AGAUREPS-Prométhée) une nouvelle chronique de la République montagnarde, de l’An II de la République à l’An II du hollandisme. Ce mois-ci, nous nous souvenons qu’il y a quasiment 220 ans jour pour jour, la Convention adoptait le maximum général des prix et des salaires. A l’heure où le peuple est étranglé pour étancher la soif des actionnaires, où les biens de première nécessité sont marchandisés au plus haut prix, où l’impôt redistributif a cédé la place à des taxes qui sont directement reversées aux entreprises, la question du maximum nous ramène aux fondements même de la pensée socialiste révolutionnaire. Et nou permet de juger à cet aune les actes et reculades de François Hollande sur le sujet.

« Les Chroniques de la République montagnarde » :

Le maximum général contre les accapareurs et les spéculateurs

 Il est des mesures dont le ressort symbolique rejoint la portée profonde. Le maximum des prix et des salaires se situe à ce carrefour. A travers cette mesure, c’est la place de la propriété qui est posée. C’est aussi celle de la monnaie ou encore des rapports de classe. Que le maximum ait été adopté par la Convention montagnarde dès lors que la question sociale a finalement trouvé son chemin lors de la Grande Révolution est tout sauf anodin. Pas plus que ne l’est la dénonciation des plus hauts revenus qui a ré-émergé à l’occasion de la crise de 2008 pour se concrétiser en une promesse de campagne non tenue du candidat Hollande. De fait, les spéculateurs de 2013 s’inscrivent dans la continuité des accapareurs de 1793. Mais les réponses politiques qui leur sont faites témoignent quant à elles d’une rupture manifeste.

Mesure emblématique du socialisme révolutionnaire, le maximum a toujours été mis sous le boisseau par ceux qui en perçoivent la radicalité. Ceux qui fuient la confrontation font fausse route comme nous l’enseignait François Pardigon, fort de l’expérience de 1848 : « L’heure est venue. La nécessité parle. Il faut accepter sans réserve les propositions les plus rigoureuses de la révolution. Tous les enfants de 89, bourgeois et autres, auraient dû, ce nous semble, en prendre leur parti, et la propagande socialiste, pour être vraie, n’a pas à cacher sa nature révolutionnaire. Chercher à séduire l’ennemi n’est pas un sûr moyen de vaincre, surtout quand l’ennemi est prévenu »[1]. Ceux-là oublient ou préfèrent oublier que « ces masses ouvrières, qu’on accuse d’être révolutionnaires, ont subi dix révolutions, ont été ruinées dix fois par les variations du salaire, par la diminution des bras employés, par la hausse du prix des denrées de première nécessité etc… avant qu’elles ne soient décidées à donner du tintouin à messieurs de la finance, du coton, ou de la terre »[2].

Car le maximum puise aux sources des revendications populaires. La République sortait à peine de la plaine encore fumante de Valmy que la commune de Paris instituait le 27 septembre 1792 un prix de vente maximum autorisé pour certains produits. Ce que la commune de Paris faisait, la Convention sous l’emprise de la Gironde s’y refusait. Sourde aux revendications des sans-culottes, elle traversait la crise des subsistances de l’automne et l’hiver 1792 sans apporter de réponse à la cherté du prix du blé malgré l’abondance de la récolte. A ce moment-là, c’est bien une crise de « pouvoir d’achat » (dans le sens du pouvoir de vivre) qui étranglait le peuple. Si les salaires ont certes augmenté, le peuple lutte pour essayer de rétablir l’équilibre consécutif à l’explosion du prix du grain. De là émane cette double revendication hardie portée dès le 19 novembre 1792 par des pétitionnaires d’une combinaison entre le maximum du prix des grains et indirectement d’un minimum des salaires.

Il aura fallu que la Gironde se fourvoie dans les intrigues et les trahisons, il aura fallu que le peuple fasse basculer le rapport de force pour que la Montagne traduise par la voix de Maximilien Robespierre une première fois cette revendication du maximum. Le 4 mai 1793 était adoptée par la Convention la loi du maximum qui étendait à l’ensemble du pays, mais avec des déclinaisons départementales, le maximum sur les grains et les farines de la commune de Paris.

Insuffisant car d’un côté certains paysans cachaient une partie de leur production pour la vendre à meilleur prix dans un autre département, et de l’autre les accapareurs stockaient la marchandise pour organiser la pénurie, quitte ou plutôt aux fins de désorganiser le ravitaillement du front. Pour y pallier, Collot d’Herbois fit voter par la Convention le 26 juillet 1793 un décret menaçant les accapareurs des denrées et marchandises de première nécessité de la peine de mort et de la confiscation des biens.

Entendons bien que la revendication du maximum et son application effective sont portées durant tout l’été par les sans-culottes. Le pouvoir que le peuple avait fait basculer demeurait à portée de main collective. Loin du gouvernement de la rue comme certains voudraient le présenter, loin du gouvernement despotique comme d’autres cherchent à le faire croire, la politique révolutionnaire était à l’été 93 la traduction de ces interactions permanentes entre mouvement populaire et exercice du pouvoir par les délégataires. Partant de là, le maximum fut étendu aux combustibles le 19 août et l’unification du prix du grain à toute la France (moyennant transports) fut votée le 11 septembre.

Dès lors, le caractère idéologique du maximum puise sa force première dans les conditions d’existence du peuple. Comme l’a si bien compris Jaurès « seule la taxation légale des denrées pouvait assurer la subsistance du peuple sans livrer la France à un despotisme sauvage »[3]. Et apporte la seule réponse ferme qui vaille face aux spéculateurs. Ces derniers cherchaient à affaiblir la révolution tout en se remplissant les poches. Or en fixant par le maximum le prix des marchandises, on sauvait l’assignat. En effet, dès lors que l’assignat devait continuer à être accepté en paiement et que le rapport de l’assignat[4] à toute marchandise était fixé par la loi, peu importait que l’assignat soit dévalué sur les marchés étrangers sinon pour les spéculateurs.

Mais là où le maximum était le plus clairement révolutionnaire, c’est qu’il enfourchait déjà la question de la propriété à l’heure où celle-ci, rompant tout juste avec le régime oligarchique de l’Ancien Régime, s’ouvrait, sur le papier, au plus grand nombre. Bien sûr à ce stade, le maximum ne remettait pas en cause la propriété de l’outil de production mais il interrogeait déjà l’utilisation de celui-ci et la redistribution nécessaire.

Là se situe l’essence de la Loi du maximum général du 29 septembre 1793. En fixant le maximum des prix des denrées, la République montagnarde s’essayait à traduire en précurseur la marchandise à travers sa valeur d’usage. Cette bascule retournait le rôle de la marchandise, la faisant passer d’un besoin nécessaire pour survivre à une utilité à vivre. Si les révolutions commencent toujours pas le besoin de pain, c’est qu’il est premier dans l’accès du droit au bonheur.

Mais les révolutionnaires de 1793 ont bien saisi qu’à défaut de réguler la production, la valeur d’échange de la marchandise demeurerait à la merci des ennemis de la République. C’est pourquoi la Loi du maximum général liait le maximum des salaires au maximum des prix[5]. Ce faisant, la Convention pensait user d’un  outil à double tranchant, d’un côté pour lutter contre l’inflation, et de l’autre pour entraver les artisans qui se voyaient en nouvelle bourgeoisie émergente et profitaient de l’appel au front du grand nombre pour s’enrichir. Les tenants de la réaction ne s’y sont pas trompés, eux qui ont craché au visage de Maximilien Robespierre « Foutre, le maximum » (entendu le maximum des salaires) le 10 Thermidor au pied de l’échafaud.

Alors, quand le 16 mai 2013 François Hollande a annoncé le début de ce qu’il voulait appeler l’An II de son quinquennat, la concordance des dates nous a fait espérer l’espace d’un (court) instant que le Président romprait avec la politique pratiquée depuis un an et viendrait se ressourcer aux racines de la grande Révolution. N’avait-il pas improvisé, durant sa campagne, l’annonce d’une taxe à 75 % sur les revenus supérieurs à 1 million d’euros ?

La nécessité aurait dû faire plus que jamais loi. On apprenait en effet au même moment que la City de Londres, mise en accusation pour ses rémunérations folles à partir de la crise de 2008, avait anticipé la suspension relative des bonus offerts aux traders en la compensant par une augmentation de leurs  salaires de 20 % ! Plus près de nous, les 40 patrons du CAC 40 se sont auto-distribués 135 millions d’euros en 2012. Le 11 juillet 2013, l’hebdomadaire Challenges nous révélait que la fortune des 500 plus grandes fortunes de France venait d’augmenter de 25 % en un an ! 330 milliards d’euros ! Voilà où est rendue leur fortune qui a quadruplé en 10 ans…

Pourtant, même limitée aux revenus, même très insuffisante puisqu’elle ne rétablissait pas une échelle des salaires dans l’entreprise pour ramener un petit peu de justice sociale, cette loi était (volontairement ?) si mal ficelée juridiquement qu’elle était bloquée par le Conseil d’Etat le 21 mars 2013. Sans doute soulagés, les bricolos de Bercy montaient alors un dispositif de substitution totalement inoffensif pour les grands patrons.

Mais même celui-là était de trop pour le Medef et ses valets. Les incantations sur l’An II de Hollande à peine passées, Pierre Moscovici est rentré dans son trou après avoir entraperçu le bout du cigare d’un financier et la culotte dorée d’un membre de la Troïka. Le Ministre de l’économie annonçait, après avoir rencontré le Medef la semaine précédente, qu’il abandonnait l’idée d’une limitation des hauts salaires, faisant confiance à une « auto-régulation exigeante ».

Capitulation confirmée par le Président Hollande le 16 juin 2013. Les conseillers de l’AFEP-MEDEF et de Bercy étaient tombés d’accord. Laurence Parisot a pu se rendre à l’Elysée le 14 juin pour présenter un « code de gouvernance révisé » que François Hollande s’est empressé d’accepter. Les chefs d’entreprises qui ne voulaient surtout pas d’un dispositif contraignant ont eu gain de cause sur toute la ligne. Au-delà de l’affichage, la mise en place d’une sollicitation des actionnaires sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux (le « say on pay ») reste en effet consultative et n’a aucune valeur juridique.

Les responsables de l’AFEP et du MEDEF se sont immédiatement félicités de cet accord. Après que la taxe à 75 % ait été écartée, après que le dispositif de substitution ait été aligné en dessous de l’existant, c’est désormais la confiance aveugle dans l’autorégulation des entreprises quant à la rémunération de ses dirigeants qui est préférée à la loi. Pour mémoire, le « say on pay » déjà appliqué dans de nombreux pays n’a nulle part conduit à une baisse de rémunération des patrons.

Voilà ce qu’il advint du maximum des salaires à l’An II du hollandisme. Inutile dans ces conditions d’envisager un maximum des prix et des denrées, d’autant que le Président Hollande engage tout de go la France dans le Grand Marché Transatlantique (GMT), outil ultime de libéralisation des marchés.

Les républicains de l’An II ont payé cher le fait de vouloir faire appliquer le maximum. C’est pourtant le maximum qui avait permis de remettre de l’ordre et de réorganiser le ravitaillement des armées qui a pu permettre de sauver la République. Il faut surtout se souvenir que la réaction thermidorienne s’est empressée de revenir à la liberté économique la plus totale en abolissant le 24 décembre 1794 le maximum sur les denrées. Le renouveau sur le commerce extérieur s’est alors payé  par une envolée des prix, la chute de la valeur de l’assignat, et la banqueroute monétaire. A l’heure où pleuvent les bulles spéculatives, où la finance folle va d’embardée en embardée, où les dettes sont monétisées et où le règne de la concurrence libre et non faussée passe pour les libéraux pour un horizon indépassable, voilà autant de thèmes qui ne manquent pas de nous interroger.

François COCQ, Francis DASPE


[1] François Pardigon, Episodes des journées de juin 1848, p 109

[2] Ibid, p 111

[3] Histoire socialiste de la révolution française, tome 6

[4] À l’origine, il s’agissait d’un titre d’emprunt émis par le Trésor en 1789, dont la valeur est gagée sur les biens nationaux par assignation. Les assignats deviennent une monnaie de circulation et d’échange en 1791. La multiplication des émissions génèrent progressivement une forte inflation.

[5] Le maximum pour les denrées de première nécessité était supérieur d’un tiers aux prix courants de 1790 et celui des salaires l’était de moitié.

Précédente chronique : septembre 2013 : De l’an II de la République à l’an II du hollandisme

Laisser un commentaire