La force du peuple

Mercredi dernier, BFM-TV me demandait si j’étais surpris par le fait que les courbes sondagières entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon se soient croisées et que le premier ait désormais distancé le second dans les enquêtes d’opinion. La question m’a étonné. Parce qu’être devant le candidat du PS n’a jamais constitué une fin en soi. Mais surtout parce que la « surprise » que j’aurais été sensé ressentir n’a finalement à voir qu’avec une rationalité politique qui semblait échapper au journaliste : la force du peuple qui se déploie.

Le 18 mars, Jean-Luc Mélenchon réunissait 130.000 personnes à Paris pour une marche et un grand discours fondateur pour la 6e République. Certes Jean-Luc Mélenchon avait très tôt posé l’idée sur la table. Le lancement en 2014 du Mouvement pour la 6ème République, le M6R, et sa centaine de milliers de signataires ont ainsi contribué à propager l’idée et à travailler sur les aspects concrets de sa mise en œuvre. Mais « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue » se plaisait à nous rappeler Victor Hugo. Et l’idée, en cheminant dans les esprits, a rencontré la nécessité devant le désastre de la monarchie présidentielle qui s’étale durant la campagne.

Encore fallait-il que l’idée prenne forme et se transmute en force matérielle. Telle était l’objet de la marche du 18 mars. Ce rendez-vous n’était pas un rassemblement comme un autre en ce qu’il fédérait le peuple autour d’un même objet commun mobilisateur. Jean-Luc Mélenchon, dans ce cadre, prenait une dimension qui dépasse le rôle de candidat qui était le sien : il est devenu le vecteur de l’idée, le lien entre celle-ci  et le peuple qui s’en est saisi. Et sa prestation remarquée 48h après lors du débat télévisé a confirmé et conforté ce nouveau statut.

Ce qui se déploie depuis, c’est la force du peuple qui se reconstitue. C’est elle qui entraîne et qui agrège, qui bouscule l’ancien monde pour ouvrir de nouveaux horizons. En se revendiquant à nouveau souverain, le peuple s’est d’abord redécouvert acteur et non plus spectateur. Dès lors, les règles du mécano électoral sont oubliées. Il n’est plus de vote utile qui tienne, plus de calculs sur les recompositions à venir, mais au contraire la seule quête du sens commun et l’envie d’inscrire sa part de soi dans la construction de la volonté générale.

Depuis le 18 mars, tous les indicateurs témoignent de cette dynamique : plus de 330.000 personnes ont désormais appuyé la candidature de Jean-Luc Mélenchon sur le site www.jlm2017.fr avec, ces derniers jours une dizaine de nouvelles signatures chaque minute (!) ; le cap des 3000 groupes d’appui d’insoumis a été franchi ; plus d’un million de « followers » le suivent désormais sur Twitter ; plus de 700.000 « amis » l’ont rejoint sur Facebook. Mais surtout, la structure même de ceux qui rejoignent le mouvement évolue : le meeting de Rennes ce dimanche a rassemblé plus de 10.000 personnes, 5.000 dans la salle, l’autre moitié en dehors, et tous les commentateurs ont été frappé par la jeunesse de celles et ceux qui venaient là pour la première fois à la politique. Les études d’opinion le confirment : cette semaine, l’IFOP affirme que les 18-24 ans se prononcent à 29% pour Jean-Luc Mélenchon !

Corollaire, les sourires, la joie de se retrouver et d’être ensemble ont envahi la campagne. « El miedo va a cambiar de bando », la peur va changer de camp, aime t-on à dire du côté de Podemos en Espagne. Avant d’ajouter lorsque le peuple se constitue en majorité sociale et populaire :  » Y la alegria tambien ». Et la joie et l’allégresse aussi.

Le « sorpasso » avec Benoît Hamon n’est donc pas un enjeu et il ne l’a jamais été. Il s’est produit naturellement quand le peuple a constaté qu’il était plus important pour lui de se fédérer que de se ranger derrière une collection d’étiquettes, celle du PS en tête. Le candidat du PS qu’est Benoît Hamon peut être aigri et s’en prendre aujourd’hui à Jean-Luc Mélenchon, il paye en réalité le discrédit des partis du vieux monde qui ont perdu leur essence de corps intermédiaire, de jonction entre les aspirations populaires et leur traduction législative. Le PS, avec le quinquennat qui vient de s’écouler, a fait la démonstration de son incapacité à infléchir une ligne gouvernementale qui elle-même rompait avec l’engagement populaire.

Quant à LR, la primaire a mis à jour que la droite légitimiste qui se défie des partis avait repris le dessus sur ses soeurs orléanistes et bonapartistes. Le discrédit qui frappe son candidat, avide d’argent et empêtré dans ses affaires politico-judiciaires, rebat les cartes au-delà de cet espace. Toute une partie de la droite reste en déshérence et hésite à se rabattre sur M. Macron, candidat de l’Europe et de la finance,qui pour convergent qu’il soit sur le fond libéral n’incarne en rien pour eux la restauration d’une France qui affirme sa souveraineté pleine et entière. Celui-là convainc d’autant  moins que les derniers qui suivent M. Fillon constituent un socle incompressible mais aussi désormais radicalisé. Leur vote de second tour paraît lourd de dangers et M. Macron un piètre rempart face au danger FN. Le dépassement du candidat LR par Jean-Luc Mélenchon semble donc inéluctable, pas tant du fait d’un effondrement supplémentaire de M. Fillon que par l’effritement du plébiscite sondagier de M. Macron qui tourne de plus en plus à vide comme en témoigne son passage raté à La Réunion.

Reste au final trois alternatives : la règle ethnique de Mme Le Pen, la règle d’or et d’argent de M. Macron, la règle humaine de Jean-Luc Mélenchon. La force du peuple ne tient pas en l’organisation du tri entre ses membres comme voudrait l’imposer l’une, ni dans la soumission aux intérêts des puissants comme le propose l’autre. Elle réside en ce que le peuple décide de porter en commun en réaffirmant son unité en tant que corps politique et en élevant sa pensée vers l’universel. La force du peuple n’est alors pas un vain mot : elle est inarrêtable.

2 commentaires sur “La force du peuple

  1. Gunbird dit :

    Pouvez-vous donner la source pour le sondage de l’IFOP, merci.

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