Le Figaro et l’Ifop trient les « potentiellement musulmans » pour mieux servir le FN

IfopPlus rien ne semble choquer ni émouvoir quand bien même les plus putrides relents de racisme et de discrimination s’affichent ostensiblement dans les pages d’un grand quotidien national. Ainsi mercredi 2 juillet, Le Figaro publiait en pleine page une étude sur le vote musulman en France (le scan ici). Et comme si classer les français en fonction de leur religion ne suffisait pas, l’Ifop, puisqu’il s’agit bien de cet institut de sondage coutumier des faits (lire ici un précédent relevé par Acrimed), a basé son analyse sur…l’étude des prénoms sur les listes électorales. Abject ! Et les réactionnaires de servir par ce biais encore une fois la soupe au FN.

Guillaume Tabard, rédacteur en chef et éditorialiste au Figaro, s’il prend des précautions sur la méthode, feint donc par contre de ne pas voir en quoi l’étude elle-même est répréhensible. Elle l’est bien sûr sur le plan légal. Ainsi, l’article L 225-1 du code pénal stipule que : «Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Les électrices et les électeurs appelé-e-s au vote lors des élections concernées par cette pseudo-étude (présidentielle 2012 et municipales 2014) ont donc été ici triés en fonction de leur appartenance religieuse.

Mais l’Ifop va plus loin. Avec Jérôme Fourquet, directeur du département opinion, et Damien Philippot, directeur des études politiques à l’Ifop et frère de…, ils définissent l’appartenance religieuse en fonction des prénoms « en recensant sur les listes électorales les prénoms ayant une consonance musulmane d’origine maghrébine, ouest-africaine, turque, comorienne ou encore pakistanaise ». Guillaume Tabard est obligé de concéder que « Évidemment, cette méthode n’est pas infaillible, l’Ifop en est conscient. Un nom n’implique pas obligatoirement une pratique ou une affiliation religieuse tout comme une personne convertie à l’islam peut garder un prénom à consonance européenne. C’est pourquoi l’étude ici présentée prend soin de ne pas parler de ’populations musulmanes’, mais de populations ‘potentiellement musulmanes’». Voilà pour les précisions sémantiques qui ne masquent pas que désormais les listes électorales sont transformées en fiches pour classer les français-es en fonction de leur religion, fut-elle supposée ! Il en est même des « quotas » de « potentiellement musulmans » qui apparaissent en filigrane tout le long de l’article, les bureaux de vote étant répertoriés en fonction du pourcentage de « potentiellement musulmans » qui y sont inscrits (0-2%, 2-7%, 7-11%, 11-16%, 16-20%, 20-27%, 27-35%, 35% et plus), un point de bascule étant même défini à 16 %. Triste retour dans le passé…

Si Le Figaro et l’Ifop s’affranchissent aussi facilement des principes républicains, c’est que la situation a changé. Une nouvelle digue dans le champ de la bataille culturelle a cédé lors des européennes du 25 mai dernier qui permet au flot de haine et de repli sur soi de s’exprimer désormais publiquement et de manière toujours plus désinhibée. Mais c’est aussi parce qu’avancer sur ce terrain scabreux permet aux réactionnaires de poser des jalons politiques pour l’avenir et pour revenir sur le passé.

Ainsi, cette subdivision des français en fonction de leur religion permet aux plus nostalgiques des conservateurs de relier à nouveau le spirituel et le temporel. Elle remet en cause les fondements mêmes du principe de laïcité en tant que modèle d’organisation de la société puisqu’il y aurait une primauté dans les choix qui serait d’abord guidée par la spiritualité individuelle et communautaire plutôt que par l’intérêt général. Elle renforce par le non-dit la nécessité qu’il y aurait à affirmer en retour la prédominance d’une église plutôt qu’une autre dès lors que le champ sur lequel elles interagissent redeviendrait la sphère publique. Le choc des civilisations made in France en somme.

Pour parachever leur offensive, l’Ifop et le Figaro orientent leur analyse des résultats de cette étude : A la question basée sur le premier tour de la présidentielle, « Quel impact sur le vote FN », la réponse apparaît très clairement pour les auteurs de l’étude comme une négation du fait que celui-ci soit « un vote anti-immigrés ». La dédiabolisation poursuit son œuvre…Ce que confirmerait selon eux l’étude du second tour de la présidentielle (« Second tour : un clivage Hollande-Sarkozy accentué ») qui permet aux comparses de constater l’incapacité de Nicolas Sarkozy à rassembler sur son nom des « potentiellement musulmans ». Ne manquait plus que l’étude de la municipale à Marseille pour montrer que les électeurs « potentiellement musulmans » ont décroché par rapport au parti socialiste et se sont massivement abstenus.

En résumé : le vote FN par les « potentiellement musulmans » prouve que ce n’est pas un vote anti-immigrés, mais la droite fut-elle sarkozyste ne peut pas aspirer ce vote, et cela alors même que le PS est désavoué par les « potentiellement musulmans ». Dès lors quelle est l’alternative ? Pour celles et ceux qui n’auraient toujours pas la réponse malgré le matraquage issu d’une page d’analyse, c’est bien le FN qui est présenté dans le dernier paragraphe comme le débouché en construction pour ce vote. L’intertitre du dernier paragraphe a beau préciser « pas de pénétration FN auprès des musulmans », les lignes qui suivent essaient de démontrer le contraire…jusqu’à un certain point. Au-delà de 20 % de « potentiellement musulmans », l’effet attractif ne fonctionne plus. Et permet donc d’indiquer des seuils à ne pas franchir…Certains ne s’y sont pas trompés : les sites d’extrême-droite se sont empressés de relayer l’article. Ecoeurant !

Un commentaire sur “Le Figaro et l’Ifop trient les « potentiellement musulmans » pour mieux servir le FN

  1. […] la crise identitaire qui ronge notre pays“. En juillet dernier, Cocq s’indignait même sur son blog que l’Ifop et Le Figaro utilisent l’étude de prénoms pour examiner le vote des […]

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