Ayrault commence 2013 par un « best of »

AyraultEn ce début d’année, Ayrault cède aux sirènes de la mode stupide des bêtisiers et autres rétrospectives dont la télé nous abreuve. Son interview au journal Le Monde daté du 4 janvier est un condensé de ses phrases les plus creuses, donnant une image surannée à un gouvernement qui n’est même pas au pouvoir depuis 1 an. Cela permet au moins de nous rafraîchir les idées pour commencer l’année et rappeler, citations et dialogue à l’appui, la structuration de pensée qui anime ce gouvernement. Florilège.

« Nos concitoyens dénoncent le caractère peu démocratique et opaque des décisions publiques, se détournent des urnes ou sont tentés par les extrêmes ». Ne vous en déplaise Monsieur Ayrault, la démocratie, ce n’est pas le bipartisme. En son nom, vous mettez « les extrêmes » sur un même plan. Le FN était déjà le chien de garde du système. Avec vous, il rajoute désormais à sa partition le rôle d’idiot utile qui permet au système de se préserver par assimilation de l’irruption citoyenne portée par le Front de Gauche.

« Certains, à droite, appellent à la « rupture » : nous n’aurions d’autre choix pour survivre que de renier notre histoire et nos principes. D’autres réclament le statu quo ou le retour en arrière ». Non Monsieur Ayrault, ce ne sont ni la droite ni le Medef qui appellent à la « rupture », trop contents de voir décliner par votre gouvernement les politiques qu’ils ont engagées. La « rupture » que vous craignez tant, c’est la rupture avec la finance, avec le mur de l’argent que vous n’osez mettre à terre, avec l’oligarchie que vous vous obstinez à préserver. Cette « rupture » que vous méprisez tant, c’est le moteur historique de la gauche, c’est la rupture radicale avec l’ordre établi dès lors que celui-ci est aux mains d’une poignée de privilégiés qui le confisque pour leurs seuls intérêts. Piètre socialiste, piètre républicain, vous vous réfugiez derrière les « valeurs républicaines fondatrices » comme si ce n’étaient pas elles justement qui appelaient en 1789, en 1793, en 1848, en 1871, en 1945 à rompre avec l’ordre ancien au nom de l’intérêt général. Votre inversion des polarités est le meilleur et le plus triste des révélateurs de la continuité que vous incarnez.

« La crise que nous traversons est d’abord économique et sociale. La tentation est grande d’en reporter la responsabilité sur autrui, d’accuser la libéralisation des échanges commerciaux et financiers, la concurrence des pays à bas coûts et les politiques conduites en Europe. Il n’est pas question de nier les dangers du néolibéralisme et du capitalisme financier ». Le néolibéralisme et le capitalisme financier présentent donc des «dangers ». Mais que subissons-nous alors depuis 2008 ? En sommes-nous encore des potentialités ? Que va-t-il nous arriver dans les années à venir si nous n’avons pas encore été frappés et que seuls existent des « dangers » ? Peut-être est-ce finalement pour cela que votre phrase appelle un « mais » qui n’a pas manqué de venir pour minorer le rôle de l’adversaire. A moins qu’en vous acoquinant vous n’en ayez fait un partenaire ?

« Soyons audacieux pour procéder aux réformes nécessaires : c’est ainsi que nous rendrons notre modèle économique et social plus compétitif et plus solidaire». Ce terme de « compétitivité » vous brûlait à ce point les lèvres Monsieur le Premier Ministre que vous avez cru devoir l’étendre incidemment du « modèle économique » au « modèle économique et social ». N’ayez crainte, nous l’avions deviné. Tout comme nous avions compris qu’avec les « opportunistes » de la fin du XIXème siècle, vous partagez cette mentalité de conservatisme social qui préside à la résignation à la « solidarité » plutôt qu’à la construction de l’égalité. «L’Etat consentira les efforts budgétaires nécessaires pour améliorer l’accompagnement des personnes confrontées à la pauvreté ou à la précarité, et leur permettre de retrouver un emploi durable, un logement décent, une offre de soins satisfaisante ». Les adjectifs qui qualifient les objectifs que vous vous fixez vous disqualifient vous, Monsieur le Premier Ministre, devant l’humanisme radical.

S’il fallait encore se convaincre de votre peur panique (de classe ?) devant l’égalité, vous surenchérissez Monsieur Ayrault : « Réinventer le modèle français, c’est enfin accomplir dans tous les domaines la promesse républicaine de l’égalité, car une société ne peut s’édifier sans une égale considération pour chacun. C’est donner à tous nos enfants les mêmes chances de réussir». Ainsi donc, « la promesse républicaine de l’égalité » est réalisée par « l’égale considération pour chacun ». L’égalité ne saurait apparemment être un droit pour vous Monsieur le Premier Ministre, ce qu’elle était pourtant dans la Déclaration de 1793. Tout au plus une « promesse » pour gagner la paix sociale. C’est d’ailleurs là une introduction manifeste que vous faites du concept d’égalité des chances que vous revendiquez pour «donner à tous nos enfants les mêmes chances de réussir». Peu importe le résultat sur la ligne d’arrivée pourvu que l’illusion ait opéré au départ. Entre « l’égalité des chances » et « l’égalité des conditions », vous avez tranché aux côtés des libéraux. Vous justifiez par avance le socle commun, cœur de la future loi d’orientation scolaire, qui sépare ce qui serait nécessaire pour la plèbe de ce qui serait utile pour les autres, faisant fi de Renouvier, penseur et philosophe républicain, qui réaffirmait il y a déjà plus d’un siècle dans son Manuel républicain de l’homme et du citoyen que l’éducation « doit être la même pour tous autant que cela dépend de la République ».     

Mais avant de parler d’égalité, ou de ce que vous entendez par là Monsieur le Premier Ministre, vous aviez comme à votre habitude pris soin de vous vêtir de vos habits de chevalier de l’austérité : « La dépense publique a perdu de son efficacité : elle est passée en cinq ans de 52 à plus de 56 % de la richesse nationale, sans que notre niveau de vie ait progressé ». Ainsi donc, le niveau de vie serait corrélé à la seule dépense publique. Plus besoin dès lors d’augmenter les salaires, les minima sociaux, de lutter contre la précarité…la belle affaire pour la compétitivité en somme. Dès lors, pour vous, « il ne s’agit pas de tailler indistinctement dans les dépenses et les effectifs de la fonction publique, comme faisait la majorité précédente, mais de supprimer les doublons et les dépenses inutiles, et de répondre plus efficacement aux besoins d’aujourd’hui ». Autrement dit à la RGPP brandie par Sarkozy sabre au clair, vous substituez la MAP (Modernisation de l’Action Publique) du tireur dans le dos. Ce faisant, vous vous gardez bien de revenir sur les conséquences funestes et bien réelles de la RGPP, ou au moins de les diagnostiquer, avant de poursuivre le travail de sape engagé…  

Vous ne pouviez boucler la boucle sans faire référence à ce qui serait votre grande œuvre contre le cadre républicain et l’égalité entre les citoyens si elle venait à être réalisée : la nouvelle étape de la décentralisation. Selon vous Monsieur le premier Ministre, celle-ci « répondra au même souci d’efficacité, grâce à une meilleure répartition des tâches entre l’Etat et les différents niveaux de collectivités ». Les libéraux avaient déjà largement transformé le service public en « missions de service public », vous faites pour votre part référence à des « tâches ». Là où les services publics permettaient l’accès à des droits attachés à la personne, vous laisserez le soin aux collectivités d’y répondre en fonction de leurs capacités, niant de la sorte le caractère indivisible de la République. Il s’agit au mieux pour vous «d’assurer l’égalité des territoires dans l’accès aux services publics », autrement dit d’abandonner à coup de formulations antinomiques « l’égalité territoriale » au profit « l’égalité d’accès ».  

Finalement, à y regarder de plus près, c’est en creux que se dessine Monsieur le Premier Ministre la cohérence de votre politique. Et on comprend mieux dès lors que l’on s’y penche pourquoi vous l’habillez de la sorte. Qu’il est loin le discours du Bourget dont se profile l’anniversaire. En quelques mois, travestir les engagements est un art dont vous êtes sans coup férir passé maître.

Un commentaire sur “Ayrault commence 2013 par un « best of »

  1. Merci pour cette analyse complète et sans concession, un excellent outil pour les militants.

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